Ligue du LOL, 5 ans et toutes ses dents
[Mise à jour, 04/10/2024 : Selon une information de l’Agence France-Presse ici relayée par Le Monde, Libération a définitivement été condamné aux prud’hommes pour “licenciement sans cause réelle et sérieuse et de façon vexatoire” dans le dossier jumeau du mien, celui de Vincent Glad. Libé a renoncé à son appel du jugement de 2022 à l’occasion d’un accord récemment signé, devenant après les Inrocks le deuxième média sanctionné pour ses agissements de 2019].
Dire que le 5e anniversaire de l’affaire Ligue du LOL est passé totalement inaperçu en février dernier serait un poil exagéré. Après tout, une dépêche AFP suivie par trois longs articles (La revue des médias de l’INA, Le Point, L’Express), ce n’est pas rien.
Cette récente production journalistique, parfois fruit de plusieurs semaines de travail, entérine clairement les dysfonctionnements médiatiques et injustices de 2019 — l’AFP allant jusqu’à titrer non sans euphémisme sa dépêche Ligue du LOL: cinq ans après, la thèse de l’emballement médiatique prend corps. Hélas et sans surprise, il est peu probable que cette fournée d’articles pourtant favorables puisse réparer les dégâts. L’ampleur de la panique morale initiée par mon ex-journal -avec qui j’ai signé un accord à l’été 2023 pour clore l’interminable procédure prud’homale et sortir au passage du surendettement- est trop forte et tenace pour être véritablement questionnée. C’est une tumeur inopérable, dont il faut juste espérer qu’elle ne grossisse plus et ne se voit pas trop de l’extérieur.
Quasi deux mois après ces diverses publications spécial “anniversaire”, aucune d’entre elles n’a ainsi été ajoutée aux références de l’interminable et obsolète article Wikipedia sur l’affaire, qui repose pourtant sur pas moins de 185 sources, dont 90% datent de 2019 (ce pourcentage n’est pas donné au hasard : j’ai calculé). Et Wikipédia reste hélas la première ressource proposée par Google pour qui voudrait se renseigner sur l’affaire, entretenant ainsi le récit mensonger de 2019 ad vitam aeternam, mais j’ai déjà écrit ici sur le sujet donc inutile de radoter.
Un pathétique “souvenir” Facebook
À vrai dire, par flemme et découragement, je n’étais pas certain de vouloir consigner dans un énième billet Medium mes impressions sur cette étrange séquence, à la fois très satisfaisante et ultra frustrante. “Tout le monde s’en fout de la Ligue du LOL”, je sais. “Il faut passer à autre chose”, bien sûr. C’est la fonction Souvenirs de Facebook — cette option qui permet de revoir ce qu’on a posté sur ce réseau social le même jour quelques années plus tôt- qui m’a finalement donné la motivation nécessaire. La semaine dernière, Facebook m’a ainsi exhumé un statut “privé” -mais lisible par plus de 700 personnes- publié le 25 mars 2019, soit trois semaines après l’annonce de mon licenciement par Libé. Je gardais alors le silence depuis plusieurs semaines, pur calvaire pour l’égocentrique addict aux likes que j’étais (suis ?), avant d’écrire ceci :
Par souci de lisibilité, un extrait :
“La semaine dernière, de passage dans l’ouest, j’ai été accueilli par un vieux pote de lycée (…). Depuis plusieurs semaines et le début de l’infamante affaire que je n’ai jusqu’à présent jamais évoquée ici, lui et moi n’avions échangé qu’une poignée de SMS. Il n’avait donc eu que le son de cloche de la curée médiatique pour se tenir informé de mes soucis pas très LOL. Bref, il était grand temps de se parler. Après lui avoir tout expliqué, contextualisé, rééquilibré, corrigé, j’ai senti le pote très soulagé. Non seulement, il venait d’avoir confirmation qu’il n’allait pas héberger chez lui un criminel de guerre en fuite, mais, surtout, je l’ai d’abord vu rassuré de ne pas m’avoir tourné le dos pendant cet enfer injuste, puis finalement assez abasourdi du sort qui m’avait été réservé. (…)
La leçon de cette anecdote (…), c’est que si un vieux pote comme lui a eu besoin de ce genre de rencontre/dialogue pour être apaisé vis-à-vis de moi, je n’ose imaginer ce que ça doit être pour les nombreux “amis” (là, au sens Facebookien, donc très large, du terme) à qui je n’ai pas eu l’occasion de parler depuis plus d’un mois, y compris d’anciens collègues. Je n’en veux pas un instant à ceux d’entre eux qui sont restés discrets, car très gênés (voire horrifiés) par le paquet d’infamies qu’on m’a collées sur le dos par capillarité. Je ne sais pas comment j’aurais moi-même réagi, à leur place. (..)”
La lecture de ce post avec sa fin pathétique (mais sincère) sur “l’incroyable bordel qu’est devenue ma vie” m’a replongé dans l’enfer de cette période, que le temps qui passe a tendance à amoindrir — et c’est heureux, d’ailleurs. Si l’amnésie sélective et la réécriture de l’histoire ont été le carburant des accusations délirantes colportées sans recul en 2019, force est de constater qu’elles ont aussi permis aux lynchés de tenir le coup, depuis. Merci le cerveau humain !
Des chevaux mutilés à la LdL
D’où le présent texte, qui a donc vocation à consigner ici les 4 papiers évoqués plus tôt ; on pourrait en ajouter un petit 5e, publié par Mouv, pour lequel j’avais également été interviewé. Je ne m’attarderai pas sur le contenu du papier de la Revue des médias de l’INA, Trolling et châtiment : en finir avec la Ligue du LOL, signé Mathieu Deslandes, car ce long article est lisible en accès libre. Juste un mot sur sa genèse : j’ai pris l’initiative de contacter son auteur à l’approche du 5e anniversaire, estimant que son article sur la psychose des chevaux mutilés était un modèle de décryptage de faillite médiatique basée sur la crédulité de journalistes bernés par des menteurs opportunistes. Il n’a jamais été question de réaliser un portrait de moi, du moins initialement. L’auteur a opté pour cet angle en mode plan B après avoir essuyé le refus de tous les mis en cause contactés pour s’exprimer, aucun ne souhaitant le faire sous son vrai nom.
S’il est difficile d’en vouloir aux hommes et aux femmes toujours traumatisés par cette épreuve de rester discrets et de ne pas nourrir l’ogre Google d’occurrences gênantes, je reste persuadé que le mutisme, qui plus est quand on a rien de grave à se reprocher, n’est pas la bonne solution. La rédaction du portrait a été longue : j’ai rencontré le journaliste à deux reprises, pendant près de 5 heures, puis répondu à ses multiples relances par mail en lui donnant accès à des documents confidentiels (attestations, décisions de justice, etc.). Il a de son côté contacté un grand nombre de personnes, et pas uniquement des membres de mon fan club, pour vérifier ce qu’on me reprochait réellement, et s’il y avait vraiment matière à le faire. Le résultat parle pour lui.
C’est probablement ce qui a valu à l’article d’être taxé de “portrait dithyrambique (…) clairement orienté” et de “tentative de réhabilitation” par une troll notoire probablement chagrinée de voir un billet illustré par sa prose haineuse relayé par l’article de La Revue des médias. J’ai beau avoir un talent inné pour renvoyer (parfois) une image de connard insupportable, il n’en reste pas moins difficile d’écrire des horreurs sur moi avec une bonne connaissance du dossier et un minimum d’honnêteté intellectuelle, deux qualités absentes des rédactions françaises en février 2019. Ces quelques grincements de dents ont motivé cette mise à jour en fin d’article : “les personnes qui s’étaient déclarées victimes en 2019 et qui ont été interrogées dans le cadre de cet article ont expressément demandé à ne pas être citées”. Le vent tourne. Et à cet égard, merci à mes anciens supérieurs à Libé, Slate, Arte et Radio France de s’être exprimés à visage découvert dans l’article : je sais qu’il y a plus de coups à prendre qu’autre chose en faisant ça, même aujourd’hui.
Les bonnes feuilles
Les deux articles de L’Express et du Point ont des titres similaires, avec respectivement “Mon nom a été sali, j’ai voulu en finir” : Ligue du LOL, aux origines d’un fiasco médiatique et La « Ligue du LOL », cinq ans après : autopsie d’un naufrage médiatique. Je vous invite à les lire, mais étant réservés aux abonnés, je vais me permettre d’en extraire des passages me concernant directement.
(…) Nous sommes le dimanche 10 février 2019. Derrière son écran de téléphone, Alexandre Hervaud, journaliste à Libération, observe le chaos silencieux des réseaux sociaux, les menaces de mort, les invectives, les divulgations d’adresses… La mèche a été allumée quarante-huit heures plus tôt. Le service de vérification de Libération, Checknews, a publié un article intitulé “La ligue du Lol a-t-elle vraiment existé et harcelé des féministes sur les réseaux sociaux?”, rapportant des témoignages de femmes mettant en cause certains membres du groupe Facebook privé. L’article ne mentionne que certains noms, dont celui d’Alexandre Hervaud et Vincent Glad, collaborateur branché de Libération et créateur du groupe Facebook.
Une liste de 35 noms, soulignant pour chacun leurs employeurs, commence à circuler dans le week-end. Elle contient des erreurs, elle est incomplète — “obscène surtout, c’est une liste”, souligne Alexandre Hervaud. Ele est tout de même reprise par de nombreux internautes pour appeler au licenciement de ceux qui y figurent.
Alexandre Hervaud suit le décompte des mis en cause qui, dans la panique, publient des mots d’excuse à la chaîne. Au début, il n’envisage pas de faire de même. “Je voulais bien m’excuser pour mes erreurs — je n’ai jamais remis en question la parole des victimes. Mais m’associer à un groupe comme si nous étions une société secrète qui venait d’être démasquée, non, parce que ça n’était pas le cas”, explique-t-il. Un SMS d’un proche va le convaincre. Sur Twitter, il reconnaît le dimanche avoir pu contribuer à un “climat toxique”. “Ça a été notre erreur. Ces billets, publiés à la hâte, n’ont fait que renforcer le nrécit binaire qui allait être fait : un groupe d’hommes uniforme et malveillant. Nous étions les “bourreaux”, il y avait les “victimes”. Personne n’a voulu voir que l’histoire était plus complexe”, argumente-t-il. (…)
(…) Énième ironie de l’histoire, Alexandre Hervaud aurait pu parfaitement prendre ce commentaire pour lui. Comme il nous l’écrit : « En troquant malgré moi le statut de “journaliste” pour celui de “matière journalistique”, j’ai perdu beaucoup d’illusions sur ce métier, mais aussi acquis un recul précieux sur ce qui nuit tant à la profession — campisme exacerbé, suivisme des bulles de filtres sur les réseaux sociaux, etc. — et que j’ai moi-même pu entretenir par le passé. »
Reste qu’après avoir essuyé un « tsunami émotionnel », Hervaud se fait tout de même très sévère avec ses anciens confrères : « L’un des slogans du mouvement MeToo est “la honte doit changer de camp”. Je me l’approprie volontiers : si mes excuses pour des tweets insolents ou blessants étaient sincères, et je les renouvelle volontiers, je n’ai aucune honte d’avoir appartenu à un simple forum privé fantasmé en repaire de cyberharceleurs. Ce sont les journalistes inconscients qui ont relayé et amplifié ces rumeurs complotistes qui devraient avoir honte. La difficulté de cette position, c’est qu’elle peut être comprise, à tort, comme un déni généralisé des souffrances engendrées par des comportements dénoncés pendant le scandale. Ce n’est pas le cas : je ne nie pas que des internautes s’étant présentés comme “victimes de la Ligue du LOL” aient pu être victimes de cyberharcèlement, parfois effectivement commis par une poignée d’ex-membres du groupe. Mais il est faux de prétendre que ces actions étaient concertées et organisées par le groupe, et de faire porter à tous ses membres la responsabilité de quelques-uns. Nier le récit médiatique mensonger des boucs émissaires de l’ombre, ce n’est pas nier la souffrance des victimes. »
Voilà pour la revue de presse. Pour la petite histoire, la dernière quote fournie au Point avait été recueillie en décembre 2020 : à sa relecture trois ans plus tard, je n’ai pas changé une virgule. Merci aux journalistes qui ont fait leur travail, et à ceux qui l’ont partagé par la suite ; j’ai notamment été très touché par un long thread de @monsieurkaplan largement relayé sur Twitter, notamment par l’ex-ministre Cécile Duflot, et qu’on pourrait résumer à cet extrait: “les choses ne sont jamais aussi simples qu’on veut le croire”.
Il reste encore un bon nombre de squelettes à exhumer sur les coulisses de la production journalistique aberrante de 2019 et ses dramatiques conséquences. J’ai même failli en sortir un de mon chapeau pour conclure le présent texte sur une petite note acide, avant de l’effacer sans regret : il est grand temps de sombrer à nouveau dans l’oubli sélectif.