De la Ligue du LOL à la «loi cyberhaine»: le grand n’importe quoi est en marche

Alexandre Hervaud
9 min readJul 8, 2019

Quelques nouvelles et observations motivées par l’actualité avant une trêve estivale.

Fin juin était publié sur Medium un article intitulé Ligue du LOL : la fabrique des 30 salauds. Présenté comme l’oeuvre d’un «journaliste dans une rédaction parisienne (…) présent sur le Twitter de 2010», le texte revient, à son tour, sur le traitement médiatique à charge et absurde de l’affaire dite de la Ligue du LOL, vaste fumisterie qui m’a valu -comme à d’autres- accusations mensongères, insultes, menaces, opprobre internationale puis licenciement.

Je ne sais pas qui est derrière cet article, et je ne partage pas l’intégralité des points qu’il soulève (comme le fait, à mes yeux inutile et maladroit, d’écrire que la plupart des victimes journalistes ne l’étaient pas -journalistes- au moment des faits, par exemple), mais il a le mérite d’être assez complet dans l’énumération du grand n’importe quoi commis par des journalistes peu rigoureux téléguidés par des meutes de twittos revanchards. Et il rappelle enfin, avec une certaine exhaustivité, le contexte de l’époque sans pour autant (encore heureux) minimiser les violences indéniables commises en ligne par certains internautes, pas forcément liés à je ne sais quel groupe Facebook privé. J’en profite aussi pour signaler le thread très juste de la camarade Méline, qui, en relayant ledit article, a su trouver des mots aussi justes que piquants pour remettre quelques pendules à l’heure :

Bien qu’anonyme, l’article et sa démonstration implacable ont eu leur petit effet : de nombreux confrères et consoeurs (du Canard Enchaîné, de 20 Minutes, de France 24, du Huffington Post, d’Eurosport, du Télégramme, du Figaro et même…de Libération !) ont ainsi relayé publiquement cette «contre-enquête» — du moins sur leurs réseaux sociaux personnels, à défaut de le faire dans leurs médias respectifs (exception faite de Titiou Lecoq dans sa newsletter pour Slate). Point trop n’en faut… A ce sujet, j’avais été, vers la fin du mois de mai, interviewé durant 90 minutes par un journaliste spécialisé médias d’une célèbre agence de presse. Un mois et demi plus tard, l’entretien n’a sans surprise nourri aucune enquête, et mes mots restent consignés dans le calepin du journaliste. Impossible de lui en vouloir, malgré tout : tout est une question de timing, j’imagine.

[mise à jour, 16/07/2019] A signaler : la parution d’un nouvel article Medium encore anonyme, intitulé Ligue du LOL : ce que les médias n’ont pas cherché. Son auteur a méticuleusement rappelé le contexte de publication de tweets souvent outranciers durant la période 2008–2011, et le résultat est assez surprenant car l’on y découvre (ou plutôt, retrouve, pour ceux qui comme moi étaient actifs à l’époque) des publications particulièrement violentes de certains “lanceurs d’alerte” et autre “victimes” autoproclamées de la Ligue du LOL (une accusation qui n’a, en soi, aucun sens, comme je l’ai déjà écrit). L’article est parfois de mauvaise foi et manipulateur, mais bien moins que le tombereau de textes mensongers et accusateurs parus dans la presse en février dernier… La réaction de nombreuses personnes surprises de découvrir la “tonalité” du Twitter de cette période m’a rappelé le faux-bug Facebook de 2012, lorsqu’on pensait (à tort) que le réseau social avait rendu public des messages privés, alors qu’il ne s’agissait que de reliques d’usages totalement différents... Et il donne une saveur particulièrement ironique et clairvoyante à mon tweet du 5 février dernier ayant contribué à “lancer” l’affaire. Un ancien collègue de Libé, choqué, m’a contacté après l’avoir lu et a reconnu “une faillite collective” sur le traitement médiatique de l’affaire. [fin de la mise à jour]

Il faut se rendre à l’évidence : même si le gimmick marketing «Ligue du LOL» sert encore à importuner quelques confrères sur Twitter (vous n’êtes pas d’accord avec un journaliste ? Accusez-le d’avoir fait partie de l’infâme Ligue, c’est la nouvelle mode !) ou à lancer quelques podcasts médiocres, l’affaire n’est clairement plus le générateur à clics qu’elle fut en février. Sans doute faudra-t-il attendre (à défaut de l’ouverture d’une information judiciaire ou du suicide d’un.e des injustement mis.e en cause) le cap fatidique de «l’anniversaire» de l’affaire, par paresse moutonnière. C’est dans longtemps, février 2020… Au moins, tout cela laissera peut-être le temps à certains médias-l’espoir fait vivre- de produire des enquêtes étayées, et pas uniquement des patchworks orientés de témoignages non vérifiés sans contradiction.

«Personne n’est à l’abri»

L’actualité de ce début de mois de juillet offrait pourtant, outre la contre-enquête anonyme citée plus tôt, une (petite) raison de revenir sur l’affaire, puisque la fameuse «Ligue du LOL» est brièvement citée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi controversée visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dont le vote à l’Assemblée aura lieu ce mardi 9 juillet 2019. Dans cet exposé, l’avocate et députée LREM Laetita Avia, qui porte le projet de loi, écrivait ainsi : «Chez les plus jeunes en particulier, le cyberharcèlement peut être dévastateur. Mais l’actualité, et les révélations de comportements tels que ceux de la “Ligue du LOL” rappellent qu’il s’agit de délits dont personne n’est à l’abri.»

Au lieu de citer à l’emporte-pièce une affaire dont elle ne connaît manifestement pas grand chose, Mme Avia aurait été plus inspirée d’évoquer un dossier qu’elle maîtrise sans doute mieux, à savoir la furie harceleuse des hordes de militants (et assistants parlementaires anonymes) d’En Marche!, comme l’a illustré une récente enquête édifiante du Monde. Et si Mme Avia me rétorquait à ce sujet qu’il ne s’agit que d’une minorité violente dont les actions ne sauraient engager la responsabilité de tout un groupe, je lui répondrais : «Coolos, c’est aussi ce que je me tue à répéter depuis cinq mois à propos de l’absurde affaire Ligue du LOL, donc merci d’arrêter de raconter n’importe quoi à ce sujet». Oui, je lui dirais «coolos», c’est l’été.

Ayant moi-même été victime d’une campagne haineuse surdimensionnée en février dernier, et faisant hélas partie des «figures» de ce banal groupe Facebook privé caricaturé en repaire de monstres 2.0., je me sens doublement concerné par le projet de loi de Mme Avia. Toutefois, n’ayant pas suivi avec attention les débats et discussions qui ont précédé son vote, je ne me risquerais pas à produire ici une analyse personnelle détaillée du projet de loi— pour ça, suivez plutôt le spécialiste Marc Rees, rédacteur en chef de Next INPact. Il faut également lire l’analyse juridique publiée par la Quadrature du Net, pour qui la proposition de loi «ne permettra pas d’atteindre l’objectif qu’elle se donne mais renforcera uniquement les risques de censure politique». Les exemples fournis sont limpides, et les pistes évoquées pour tenter de contrecarrer la toxicité inhérente aux plateformes type Facebook et Twitter sont intéressantes (et donnent clairement envie d’abandonner une bonne fois pour toutes ces services).

De la même Quadrature, on peut également conseiller la tribune La loi «haine» va transformer Internet en télévision, où l’on peut lire : «vouloir télévisionner l’Internet, c’est vouloir le centraliser. C’est un moyen pour le gouvernement de reprendre le contrôle sur ce moyen d’expression qu’il ne maîtrise pas et cela passe par la création de lois pour et avec les grandes plateformes, en ne voyant Internet que par le prisme faussé des géants du Net, avec la menace qu’elles s’appliquent un jour à tous. Car il est toujours plus facile de ne traiter qu’avec un nombre restreint de gros acteurs (d’ailleurs plus prompts que les autres à collaborer avec lui).»

Des excès du signalement ? R.A.S !

Signalons également l’intervention à l’Assemblée du député LFI François Ruffin, qui s’adressait la semaine dernière au sujet de cette proposition de loi à Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique. Ruffin avait déclaré : «Quel remède apportez-vous à cette violence, à ces injures, à cette haine que je déplore ? Vous confiez la censure à Google, à Facebook, à Twitter — une censure privée, surtout. Pire : une censure technologique. (…) vous ouvrez la voie à une censure automatique, algorithmique, robotisée, sans humain derrière pour peser, pour décider ; sans humain pour avoir des scrupules à bâillonner un autre humain ; sans responsable qu’il faut chercher à convaincre. Avec ce texte, vous risquez de tuer la dialectique qui existait jusqu’ici ».

Ces propos de Ruffin m’ont fait réfléchir. Dans la foulée de l‘hystérie de masse de février dernier autour de l’affaire, j’ai été «bloqué» et «masqué» par de nombreux utilisateurs de Twitter, bien décidés à s’épargner mon indésirable présence de leur timeline, ce qui est tout à fait leur droit : j’ai d’ailleurs utilisé ces fonctionnalités à de nombreuses reprises moi-même, afin de contenir le flot de haine dont j’étais la cible. Avec une certaine efficacité, je dois avouer.

J’imagine -même si je n’ai pas de chiffres exacts à ma disposition- avoir également été la cible de nombreux «signalements» de justiciers zélés souhaitant faire supprimer mon compte Twitter sans autre forme de procès, et ce n’est que le fait d’être «compte certifié» par Twitter qui m’a sans doute évité ce déshonneur. Mais en aurait-il été de même avec le futur fonctionnement de signalement qu’entend imposer auprès des plateformes cette fameuse loi anti cyberhaine ? Pas sûr.

Certes, la future loi entend également proscrire les signalements abusifs, mais dans le cas de l’affaire Ligue du LOL, compte tenu de l’entêtant refrain de «culpabilité par association» entonné à l’époque par les médias, je n’aurais pas donné cher de la peau de mon compte si le futur cadre législatif avait été en vigueur. C’est l’un des risques dont nous prévient la Quadrature du Net dans l’analyse déjà citée : «imposer un délai de 24h pour retirer un contenu manifestement illicite est susceptible de provoquer d’importantes restrictions de libertés, tel que le sur-blocage de propos licites ou le dévoiement de la mesure à des fins de censure politique. Ce délai fixe produit un autre effet nocif : il empêche les plateformes d’examiner en priorité les contenus les plus graves ou les plus partagés, car elles doivent traiter tous les signalements, même les moins graves, dans un même et unique délai».

«Vous me harcelez !», ce nouveau point Godwin

Museler ses contradicteurs par l’abus de signalements coordonnés pour faire «sauter» profils ou contenus n’est pas nouveau. Mais il est à craindre que la nouvelle loi donne un nouveau souffle à cette déplorable pratique, d’autant que le climat de ces derniers mois ne s’est clairement pas arrangé sur les réseaux sociaux. C’est comme si, face aux conséquences démesurées de l’affaire Ligue du LOL et son cortège de vies brisées par de banals tweet-clashs travestis 10 ans plus tard en cyberharcèlement, l’accusation de harcèlement était devenue une nouvelle arme à disposition pour faire taire toute critique, via l’incroyable glissement sémantique «détracteur = harceleur».

J’en avais fait les frais dès le 10 février quand l’inénarrable Juan Branco m’avait, dans un tweet massivement relayé qui m’avait valu un torrent de boue, accusé de le «harceler depuis des mois», et au passage, de «distiller des leçons d’une arrogance affolée», ce qui, venant de ce giga-melon sur pattes, avait été une des rares occasions de rire à haute voix (LOL !) durant ce shitstorm — et ne parlons pas de son vieux Skyblog douteux.

Cette tactique du «point Godwin du harcèlement» est d’autant plus sournoise et efficace qu’elle dépasse les genres, les origines, les opinions religieuses ou orientations sexuelles. Désormais, avec cette accusation magique de harcèlement, dégainée au plus grand mépris des vraies victimes, notamment en milieu scolaire, même un banal homme blanc cishet petit bourgeois peut s’auto-proclamer victime de harcèlement afin de calomnier des détracteurs.

Outre l’exemple cité plus haut, j’ai récemment du me frotter les yeux pour être sûr de pas rêver en lisant un certain personnage bien connu dans la sphère des «profs de Twitter» (478000 abonnés) accuser de harcèlement une journaliste spécialiste de l’éducation à Mediapart, qui avait eu le malheur d’exprimer publiquement, via une poignée de tweets disséminées sur plusieurs années, ses doutes quant à l’oeuvre parfois problématique du bonhomme… Va-t-on bientôt voir des footballeurs ou chanteurs de variété scruter les timelines de journalistes sportifs et musicaux à la recherche de «méchancetés» publiées au fil des ans, pour mieux adoucir ces vilains plumitifs ? Dans un autre registre, rappelons au passage que le gouvernement envisage de sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, au grand dam des syndicats et sociétés de journalistes, collectifs et associations.

Quitte à voir le verre à moitié plein (après tout, c’est ma philosophie de survie depuis des mois), je me rassure en me disant que, chômage oblige, rien ne m’oblige désormais à m’éterniser sur Twitter. La désintox fait partie des mes objectifs estivaux. S’en tenir éloigné n’est pas évident, surtout quand le boulot a longtemps été l’excuse pour y passer bieeen trop de temps, développant à terme une addiction certaine. Mais bon, si j’ai bien réussi à ne pas allumer une cigarette en 11 mois 11 jours et 16 h, à en croire mon appli SmokeFree, l’espoir est permis. Bon été à toutes et à tous.

--

--

Alexandre Hervaud

Rédacteur par-ci, par-là. En recherche de missions/contrats. Lisible et joignable via Twitter (@AlexHervaud)